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dimanche 16 août 2015

Griffintown


Par Marie-Hélène Poitras, Alto, Coda

«Le jour se lève sur Griffintown après le temps de survivance, les mois de neige et de dormance. Hommes et chevaux reprennent le chemin de l’écurie. L’hiver a eu raison de quelques-uns. Certains, comme John, reprennent le collier comme on renoue avec une mauvaise habitude. Pour d’autres, qui traînent plusieurs vies derrière eux, il s’agit souvent du cabaret de la dernière chance. Marie, la Rose au cou cassé, cherche quant à elle un boulot qui la rapprochera des chevaux. Elle ignore ce que lui réserve l’été, le dernier de Griffintown. Car tandis qu’une procession de désespérés défile vers le Far Ouest à la recherche d’une maigre pitance, la Mouche ourdit sa vengeance. Histoire de meurtre, d’amour et d’envie dans un décor où tous les coups sont permis, Griffintown expose au grand jour l’intimité des cochers du Vieux-Montréal, ces cow-boys dans la ville.»

Le Far West… qu’en retient-on? Ses duels épiques, ses cavalcades folles à travers le désert, ses saloons aux pianos égrenant un rythme endiablé, les Bons, les Méchants, la Cavalerie… Ce qu’on oublie, c’est la solitude du cow-boy, du pianiste, de la prostituée qui étale sa vulnérabilité au balcon. Les démons aussi. Ceux qui hantent sans répit. Ceux qui s’enroulent autour de l’âme et font préférer la poussière. Et les chevaux. Leur vie utile, et l’autre, celle qui commence quand ils semblent de ne plus pouvoir l’être. Et si l’Ouest n’était pas si loin, finalement? Et si Griffintown était le dernier retranchement de ces irréductibles déchus, de ces oubliés du monde, de ces battants de la dernière chance? Et si, les Méchants, c’était en fait «Ceux de la Ville», ceux qui veulent tout faire disparaître sous un désert de condos aveugles et stériles, ceux qui veulent effacer l’Histoire pour en construire une en carton-pâte, ceux pour qui la fin justifie tous les moyens? D’une plume fine et juste, Marie-Hélène Poitras raconte cette vie dans les limbes, ce «château de tôle» rapiécé où piaffent les chevaux de la dernière heure, ce combat de chaque instant des cochers, de leur race de survivants, ce mélange explosif de bravoure et de détresse qui les fait se relever chaque fois que le Destin les enfarge. C’est une histoire au souffle âpre, à la sensibilité qu’on camoufle dans ses bottes, à la joie rauque et éparse, à l’orgueil qu’on méprend parfois pour de la résilience. Un opus chamboulant, ébouriffé, à l’analogie audacieuse, qui sait dire avec une lucide simplicité l’humanité et les chevaux, dans tout ce qu’ils ont de farouchement indomptables.


Lili lui donne: ✮ ✮ ✮ ✮ ✮