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lundi 18 juin 2012

Le coup de la girafe


Par Camille Bouchard, Soulières, Grafitti

«"– Maman, il est où le bonheur? 
– Écoute... tu entends? 
– Quoi? 
– Est-ce que tu entends un bruit? Mais un très très grand bruit? 
– Non. 
– Alors, c’est que le bonheur est ici. 
Je ne comprends rien à ce que ma mère raconte. J’accepte son bisou sur ma joue. Je note qu’elle se lève sur le bout des pieds. Je suis plus grand qu’elle. Normal. Je suis un homme. J’ai quinze ans. Le docteur dit que, dans ma tête, j’ai six ans. En ce cas, comment se fait-il que je sois en première secondaire, hein?"»

Un plongeon déroutant dans le cruel monde de l'intimidation. Camille Bouchard laisse la parole à Jacob, pour qui rien n'est simple, tout est rêche, inatteignable, et qui ne connaît de la vie que le côté sombre. Or, malgré une narration habile et sensible, poétique à ses heures même, cet opus fracassant m'a laissé un goût amer dans l'âme. Bien sûr, toute cette méchanceté et cette détresse existent dans la réalité, mais je m'interroge: est-il nécessaire de balancer cette torturante vérité au visage du lecteur, sans ménagement, de faire de lui un voyeur impuissant? De le faire couler à pic, avec Jacob, sans espoir de salut? La catharsis a ses vertus, certes, mais parfois, il faut savoir doser. Cela dit, étrangement, la chute de cette singulière descente aux enfers m'a émue: je n'en ai pas du tout apprécié l'aboutissement - que j'ai trouvé inutilement dramatique - mais j'en ai savouré le style, la voix, les mots. En fait, tricotée toute en finesse, entre deux coups de théâtre, la fin donne l'impression d'avoir été le prétexte au roman. En effet - et cela peut expliquer beaucoup de choses - c'est comme si toute l'histoire (la trame maladroite par endroits, les liens entre les personnages qui se tissent un brin trop rapidement, les détails trop crus) avait été construite un peu à la va-vite afin de permettre à cette fin d'exister, afin de permettre à Jacob d'exprimer ce long monologue, petit bijou stylistique comme il est rare d'en croiser. C'est donc bouleversée, perplexe et un peu charmée (je l'admets...) que j'ai refermé ce roman. Une lecture à recommander? Difficile de me prononcer, mais chose certaine, lecteurs à l'âme fragile s'abstenir.


Lili lui donne: ★ ★ ★ ☆ ☆